samedi 19 janvier 2008

"le père,la fille et l' auteur" (extrait)


Comment je vins au théâtre entrainé par Philippe VanBellegem; extrait de la pièce :" le père, la fille et l' auteur" inédite au 19/10/08

le père raconte au public comment a commencé la carrière de l' auteur dont il est en train de jouer la pièce


« Dire que c’ est moi qui suis allé le chercher lui pour faire du théâtre.

Je me rappelle. C’ était un dimanche après midi.

Je me suis pointé chez lui juste après l’ heure de la sieste de Monsieur ; (c’ est

l’ une des seules choses qu’ il respecte vraiment et qu’ il oblige les autres à respecter). Chez lui, pendant la sieste, c’ est la maison du silence comme dirait ses enfants, c’ est 20 000 lieues sous les mers, c’ est l ’ équipe du commandant Cousteau en plongée dans les grandes profondeurs. Il ne lui manque que le bonnet rouge sur la tête et tu entends les ronflements de la turbine. Et pour turbiner, ça turbine !!!

A mon arrivée donc, il sortait à peine de son coma abyssal.

Il faut voir dans ces moments-là tous les efforts qu’ il déploie pour sortir de sa torpeur.

On dirait l’ homme primitif dans toute sa splendeur.

((il mime tout ce qu’ il dit))

Les cheveux en bataille, la tête ballotant dans tous les sens, la marche hésitante parce que Monsieur n’ a pas encore trouvé ses lunettes, pris de démangeaisons et se grattant frénétiquement…

((il descend la main vers les fesses et la remonte vivement vers la figure))

la barbe.

les yeux mi-clos, incapable d’ émettre, par la bouche je le précise, autre chose que des grognements et des ricanements stupides, n’ acceptant autour de lui que le silence e donc prêt à exploser la première mouche qui… vole.

Vous avez droit ensuite au « sirotage » complet de son bol de café, ou plutôt de son saladier de café, obligatoirement très chaud ,très noir et très fort, qu’ invariablement il allongera d’une grande rasade…d’eau pour le refroidir, le café, pas le monsieur.

Et cet instant dure une quasi éternité, surtout quand vous êtes là à attendre le signal qui libérera les premiers mots de votre bouche.

Il faut voir le tableau. L’ ours des bois qui se lève, découvrant la civilisation au fur et à mesure que les connexions de son cerveau se rétablissent.

La première fois que vous voyez ça, ça fait peur.

La bête à l’ état pur, le yéti, la bête du Gévaudan et le Monstre du Loch Ness réunis en un seul… homme.

Puis, au fur et à mesure que le passage du café réveille en lui les premières traces d’ humanité, il redevient quasi présentable.

Il vous regarde d’ un air de dire : tiens tu es là toi?, et il le dit :

((il prend une voix presque incompréhensible :

« tiens, tu es là toi? »

Cinq bonnes minutes se passent.

((il reprend la même voix, juste un peu plus clair))

«Et ça fait longtemps que tu es arrivé ? »

Vous n’ avez pas le temps de répondre, il est déjà reparti dans son saladier de café.

Une nouveau branchement ayant réussi, il reprend avec sa voix de soprane au lendemain de la fête de la bière de Munich :

« On aurait pu me prévenir quand même, j’ aime bien quand quelqu’un de plus bête que moi vient me voir. »

Alors, il éclate d’ un rire caverneux, se lève, se secoue comme s’ il voulait déloger une armada de puces qui se serait installée sur lui pendant son sommeil, et il vous décroche son dernier signe extérieur d’ animalité, un sourire voulant dire qu’ il quitte un plaisir, la sieste, pour vous faire cadeau de sa présence.

Ceci étant dit, revenons à ce dimanche après midi là, j’ étais arrivé chez lui tout guilleret pour lui proposer de faire du théâtre avec moi. J’ étais à l’ époque et encore maintenant un comédien reconnu.

Une vieille complicité entre nous, et mon charme aidant me laissaient penser qu’ il ne refuserait pas mon honnête proposition.

L’ animal ayant terminé sa mue accueille mon idée avec un sourire bien plus intelligent que le précédent. (( il mime))

Ca n’ est pas un oui franc et massif mais c’ est quand même un début de réponse. Rien n’ est perdu me dis-je.

Il faut manœuvrer doucement car rien n’ est cependant gagné. Il recommence à se balancer de droite et de gauche, à se gratter… la barbe et les cheveux. Enfin tous ces signes qui montrent que la bête réfléchit.

Soudain, l’ inquiétude me gagne : ne va-t-il pas se rendormir, et me laisser poiroter en attendant sa réponse ?

Mais non, la bête sourit, et donne son accord.

La première manche est dans la poche. J’ ai réussi à amadouer l’ animal.

Brutalement, son sourire se fige et laisse place à une question :

« faire du théâtre, d’ accord, mais pour jouer quoi ? »

me demande-t-il, envahi de nouveaux par ses démangeaisons, à croire qu’ il pense par la barbe .

Il faut la jouer fine me di-je et caresser l’ homo sapiens dans le sens du poil.

Rendons- lui la direction des opérations par une phrase simple, il faut le rassurer.

Je ne sais pas dis-je en me tordant les doigts et les mains pour lui montrer mon désarroi, C’est toi qui va écrire la pièce, qu’ en penses-tu ? »

Les hommes préhistoriques se battant à coup de massues, le mien n’est pas surpris et encaisse sereinement le coup asséné par moi.

L’ homo-érectus devient un « homo-assomus » puis un « homo-titubus » ((il mime))

Je ne me croyais pas capable d’ assommer quelqu’un d’ une seule parole.

Mais là, avec mon meilleur ami, c’ est réussi.

((il crie en serrant le poing « yes »

Heureusement qu’ il est costaud l’ australopithèque et tout en se redressant, il relève le défi.

En fin d’ après-midi, le sujet est trouvé, les premières idées fusent.

Rendez-vous est pris pour la semaine suivante .

Quelques après-midi suffiront pour boucler le sujet.

Un seul petit défaut toutefois . Une fois les scènes mises bout à bout, Ben-Hur ressemble à un court métrage à côté de notre œuvre commune et l’ animal que je croyais titubant est totalement rasséréné.

Il m’ offre bien évidemment le premier rôle, c’est moi l’ acteur, et lui ne sera qu’ un faire valoir. THE RIGHT MEN AT THE RIGHT PLACES.

Mais il est rusé l’ animal, il m’ entraîne dans son antre .

A force de lui faire croire que tout est possible, en acceptant mes modifications, mes améliorations allais-je dire, en incluant des passages absolument irréalisables mais uniquement suggérés par bravade, c’ est lui qui reprend la main et le dessus.

La scène finale dure plus d’ une demi-heure.

Monsieur la passera assis sur une échelle de tennis en lisant son texte, y ajoutera des passages suivant ses humeurs. Alors que moi, devenu bête de somme après avoir été une bête de scène, je cavalerai et je cavalcaderai aux quatre coins de la scène à incarner tous les personnages d’ une journée de bataille au début du 13ème siècle dans une plaine marécageuse du Nord de la France.

Qu’ est-ce que ça peut bien me faire qu’ ils se sont battus un dimanche de 1 214, le 27 juillet exactement, et qui plus est à Bouvines ?

(( l’ air désespéré :

Je suis marqué à vie par cette scène. Je suis comme cet acteur qui a joué une fois le rôle du comte de Dracula et qui s’est pris pour lui toute sa vie. C’est épouvantable !!

C’est l’ horreur !!!

((il mime tout ce qu’ il dit :

« Et je te mets une poubelle sur la tête, et je me bats armé d’ une canne en guise d’ épée, et je chevauche un balai en guise de monture, et je me roule par terre, et je fais prisonnier tous mes ennemis.

Et je triomphe. Je ne suis plus Phi Phi de Bouvines, je suis Philippe Auguste, roi de France, et je remporte la bataille de…Bouvines.

((il fait le tour de la scène en levant les bras au ciel et en envoyant des baisers à la foule, puis s’ écroule dans le divan.))

« Voilà ce que je suis devenu ! Et depuis, comme tous les rois de France, j’ ai été détrôné !

Rien que d’ évoquer cette scène, je me fatigue encore."

2 commentaires:

sophiev a dit…

"La bête à l’ état pur, le yéti, la bête du Gévaudan et le Monstre du Loch Ness réunis en un seul… homme",
dire que j'vas vieillir à côté de chti là'le!!
heureusement que j'y vois bien plus que quelques traces d'humanité...

ta plus fidèle lectrice

Elsa Waegemacker a dit…

Je viens de lire, c'est hyper bien cet extrait !
M'en vais lire la totalité, du coup.